L’alcool, le dernier tabou des femmes

Cinq pour cent des Françaises ont un problème d’addiction. Un phénomène en hausse, engendré par la compétition au travail…

Le JDD Santé | 10 Juillet 2010

Il y a des larmes cachées sous le maquillage, des superwomen qui titubent sitôt passée la porte du bureau. Psychiatre spécialiste des addictions, Fatma Bouvet de La Maisonneuve a ouvert en 2007 à l’hôpital Saint-Anne à Paris une consultation d’alcoologie spécialement destinée aux femmes. Dans un livre qui vient de paraître (1), elle raconte l’histoire de ces employées modèles qui ne viendraient pas à bout de leur double journée sans se doper au Kir ou au Martini.

Si l’alcoolisme des hommes –comme en témoigne le succès de l’ouvrage du producteur Hervé Chabalier–, comme celui des jeunes, est un sujet de société débattu, celui des femmes reste, de l’aveu de nombreux médecins, encore tabou. "La première chose que les patientes me disent, c’est à quel point elles ont honte. Les gens ignorent que c’est une maladie. Pour eux, une femme qui boit est une moins que rien. Alors, elles gardent le secret et leurs familles se font complices de ce silence", relève cette féministe engagée. Une constatation partagée par le professeur de psychiatrie Michel Lejoyeux (2) : "La société a honte pour les femmes. On considère que l’alcool est une affaire d’hommes et on ferme les yeux."
La souffrance au travail est un élément déclencheur

Selon l’Inserm, 5% des femmes ont eu, ou ont toujours, un usage problématique de ce produit (contre 15% de l’ensemble des hommes). En consomment-elles davantage que par le passé ? "On n’a pas de données fiables sur le sujet mais tous les alcoologues reçoivent de plus en plus de patientes", précise le psychiatre Michel Lejoyeux. Les femmes ont tendance à boire seules, chez elles, mais aussi de plus en plus souvent en groupe, avec leurs copines, ou lors de déjeuners d’affaires, copiant les usages masculins.

Sans ignorer le fait que le fléau frappe tous les âges et tous les milieux sociaux, Fatma Bouvet de La Maisonneuve dévoile la détresse de celles qu’elle reçoit dans sa consultation parisienne. Cadres du privé, professeures ou journalistes, toutes brillantes et diplômées, qui, selon l’Institut national de veille sanitaire, boivent plus que les autres. "Plus on est socialement brillant, intellectuellement raffiné, plus on peut se mentir et mentir aux autres", note Michel Lejoyeux. La position de pouvoir constituerait même un handicap, selon ce médecin : "On ose rarement dire à sa supérieure qu’elle a un problème avec l’alcool. Le statut social fait peur et isole."

Pourquoi ces femmes éprouvent-elles le besoin de boire ? Selon Fatma Bouvet de La Maisonneuve, l’élément déclencheur est souvent la souffrance au travail, le stress et quelquefois le harcèlement moral. "Elles peinent à évoluer dans un univers où les valeurs dominantes sont encore masculines et où les inégalités salariales entre les sexes ont peu diminué. Au départ, elles boivent parce que ça les rassure, mais à long terme, cela ne résout rien. Au contraire, cela entraîne souvent des complications anxieuses."

Autre raison de leurs difficultés, selon la psychiatre de l’hôpital Sainte-Anne, l’impossible conciliation entre vie professionnelle et vie privée. Mais pour le professeur Lejoyeux, le travail n’explique pas à lui tout seul la montée des addictions féminines : "Une dépendance est toujours le résultat de plusieurs facteurs. Outre les facteurs sociaux, il faut prendre en compte la biologie et l’histoire familiale." Tabou dans le tabou, plusieurs alcoologues soulignent que de nombreuses jeunes femmes boivent pour parvenir à avoir des relations sexuelles.

(1) Les Femmes face à l’alcool, résister et s’en sortir, Odile Jacob 2010.
http://www.lejdd.fr/Societe/Sante/Actualite/L-alcool-le-dernier-tabou-des-femmes-206368/


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