N°133
Mars 2001

Le LIbérateur journal de la Croix Bleue


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Editorial









L
’histoire des femmes à la recherche de leur égalité est déjà longue et pourtant la conception grossière que l’on se fait du féminisme en termes de luttes, de droits, d’avancées prouve notre incapacité à imaginer le rapport entre les deux sexes autrement que comme un rapport de forces.

Depuis le droit de vote accordé aux femmes en 1944, elles mènent un combat incessant et focalisent leurs énergies sur des drames qui les frappent au premier chef . Dès les années 1950 jusqu’à nos jours, elles émergent pour représenter leur pays et essaient, par leur marche en avant, de réveiller les consciences.

Hier, elles militaient pour le droit à l’avortement, l’accès à la contraception libre et gratuite, la lutte contre l’oppression familiale ; aujourd’hui elles considèrent comme nécessaire d’avoir une représentation égale de femmes et d’hommes dans les assemblées et militent pour une démocratie paritaire.

Je ne peux m’empêcher de comparer la France, où la condition féminine est en nette évolution, aux pays du Maghreb ou de l’Afrique, où ces femmes sont encore vendues, achetées, excisées, violentées, humiliés. Elles revendiquent avec courage et détermination le droit de vivre, trop souvent au péril de leur vie !

Le libérateur ne peut être le témoin et le porte-parole de tous leurs combats. Pourtant dans cette maladie qu’est l’alcoolisme il est bien difficile d’affirmer que la dépendance à l’alcool s’instaure chez un être à cause d’une seule et même souffrance. Je souhaite simplement qu’au cours de votre lecture vous portiez un autre regard sur « elles » : elles qui à un moment ont eu recours à l’alcool comme remède à leurs souffrance, elles qui durant des années ont partagé et subi l’alcoolisme d’un conjoint ou d’un enfant, elles qui ont choisi à titre professionnel de soigner, d’aider à cicatriser les multiples blessures, elles qui s’investissent bénévolement auprès des plus démunis.

Tout au long de ce numéro vous découvrirez les problèmes que pose l’alcoolisme.

Qu’elles soient solidaires ou anciennes buveuses, elles témoignent, avec vérité, des aspects les plus noirs de la maladie alcoolique mais aussi de la formidable revanche que prennent les personnes guéries.

Pas de triomphalisme simpliste : elles n’ont pas gagné la guerre contre l’alcoolisme mais une victoire pour tous ceux et celles qui ont eu besoin de recouvrer leur liberté.
Sylvie GILARDI

 




L’alcool, un ennemi pour toutes les femmes

L’alcoolisme des femmes est-il si différent de l’alcoolisme des hommes que l’on doive lui consacrer un Libérateur ? N’a-t-il pas les mêmes causes et les mêmes effets ? Les conséquences en sont-elles plus graves pour elles que pour eux ?

OUI sans doute, vu le nombre d’articles et de dossiers consacrés à l’alcoolisme féminin dans la presse dite « grand public » et les émissions télévisées.

Lorsque l’on parle de l’alcoolisme en général, on y associe les accidents de la route, les débordements dans les stades : en bref la sécurité civile est en danger et l’on fait appel aux gendarmes. Lorsque l’on parle de l’alcoolisme féminin, c’est la cellule familiale qui est en danger et chaque individu se sent concerné.

A la Croix Bleue, et dans le Libérateur, nous avons expliqué les différences existant entre l’alcoolisme des hommes et des femmes. Bien entendu, nous savons que chaque parcours est propre à chaque individu.

Mais on peut dire qu’il y a peu de buveuses excessives, victimes de la convivialité. Pour des raisons physiques et psychologiques, chez les femmes, l’alcoolisme est une cause, une conséquence d’un douloureux mal-être.

Et les dégâts sont plus rapides : déchéance physique, solitude, rejet familial, placement des enfants, abandon. Que déchirures, combien d’histoires dramatiques au travers des récits publiés !!

Loin de nous l’idée de penser que les hommes qui boivent le font pour leur plaisir ; nous sommes, bien sûr, conscients des souffrances qu’ils endurent. Mais, lorsqu’on écoute ou lit des témoignages faits par des hommes et des femmes, il est frappant de constater l’importance de la Mère (elle ne m’aimait pas, elle m’aimait trop, elle m’a abandonné(e), elle m’a fait payer le départ du père …). Quelle lourde responsabilité fait-on porter aux femmes, à toutes les femmes !

Alors, en lisant l’article sur le syndrome d’alcoolisme fœtal, qui explique que l’alcoolisation de la mère est seule responsable des malformations que la consommation d’alcool peut entraîner sur le fœtus, on ne peut s’empêcher de penser à la culpabilité que certaines mères vont ressentir.

Les femmes enceintes qui n’ont pu arrêter leur consommation d’alcool pendant la grossesse, comment vont-elles réagir lorsqu’on leur dira que les problèmes de santé de leur bébé proviennent de ce maudit alcool ?
Malheureusement, la prévention passe obligatoirement par l’information et il est important d’aborder aussi ce sujet. Et puis, combien de rapports, d’études, de statistiques qui démontrent la place tenue par l’alcool dans tous les phénomènes de maltraitance, que ce soit les viols, les incestes, la violence conjugale pouvant aller jusqu’au meurtre, la pédophilie, et qui restent trop « confidentiels » ? Qui se sent responsable et qui entreprend le combat ? Ce sont souvent des femmes, victimes ou témoins de ces actes odieux, qui ont le courage de faire entendre leurs voix pour protéger leurs enfants, filles ou garçons.

Dans notre société où l’alcool est partout que peut-on faire ? Informer, prévenir, dire et redire que l’alcool est une drogue ; OUI, une drogue dure, que les femmes autant que les hommes sont concernés et, qu’ensemble, ils doivent lutter contre ce fléau.

Les messages envoyés par les femmes de la Presqu’île permettent d’espérer que ces femmes, et bien d’autres avec elles, sauront se mobiliser dans ce combat si important pour défendre leur rôle de mère, d’épouse, de compagne, de fille, de femme.

Voilà, pourquoi ce numéro du Libérateur, consacré à ELLES, tient son rôle d’outil d’information en présentant un article sur les risques de l’alcoolisme fœtal, et tient son rôle de porteur d’espoir en laissant la parole à quelques femmes, des femmes qui ont connu ou qui savent les dangers de l’alcool, des femmes qui luttent pour protéger la vie de ceux qu’elles aiment.
Laurence LEDAY


Le syndrome d’alcoolisation fœtale ou S.A.F.

Qu’en est-il ?

Alors que certaines pathologies de l’enfant sont largement médiatisées, les effets de l’alcool sur le fœtus, avec leurs séquelles neuro-comportementales définitives sont moins connues du grand public ; et pourtant cette atteinte est beaucoup plus fréquente que, par exemple, la trisomie 21. Il est difficile d’avoir une évaluation exacte de sa survenue, car il n’existe pas encore de dépistage systématique et la gravité des dégâts est variable. Mais les études françaises et étrangères s’accordent pour la situer aux environs de un pour quatre mille naissances. Sur le plan mondial, c’est la première cause « d’arriération mentale » alors qu’elle est évitable. Avant on pensait que c’était la maladie alcoolique du père qui entraînait ces malformations. Il est établi depuis quarante ans maintenant que c’est l’alcoolisation excessive de la mère pendant la grossesse qui est en cause : que celle-ci soit régulière et supérieure à trois verres par jour tout au long de la grossesse ou qu’elle soit très excessive par crises plus espacées. L’alcool possède un faible poids moléculaire qui lui permet de franchir aisément la barrière placentaire. Sa concentration dans les tissus fœtaux est donc rapidement aussi élevées que dans l’organisme maternel ; le foie fœtal ne métabolisant pas l’alcool, c’est donc à l’état pur que celui-ci va baigner le cerveau du fœtus en pleine maturation. Les résultats sur le nourrisson apparaissent dès la naissance marquée le plus souvent par la prématurité et l’hypotrophie.

Le syndrome d’alcoolisation fœtale

L’alcoolisation in utero peut conduire à un certain nombre de dommages dont les quatre éléments principaux sont présents en totalité ou en partie chez l’enfant ayant été alcoolisé in utero :

1 - La dysmorphie qui va se modifier avec la croissance mais qui restera typique quand elle est présente à l’âge adulte. Le faible développement de l’étage moyen de la face et le diminution du périmètre crânien sont caractéristiques. Présente à la naissance elle va, tout en se modifiant, persister dans la vie du sujet.

2 - Les malformations d’organes, en particulier cardiaques, rénales et osseuses. Ces malformations sont évidemment définitives, accessibles au traitement des spécialistes d’organes.

3 - Le déficit staturo-pondéral qui est un élément fondamental : il y a un retard de croissance intra-utérin, puis retard à la prise pondérale plus important que le retard statural. Ce déficit est toujours présent à l’âge adulte. Le déficit pondéral se fait au détriment de la masse grasse et de la masse maigre.

4 - Les troubles neuro-comportementaux et de l’apprentissage. Ceux-ci sont l’élément majeur de pronostics avec les conséquences en termes d’échec scolaire et de troubles de l’insertion sociale. Les tableaux cliniques rencontrés vont du handicap mental profond aux troubles plus subtils de l’apprentissage et du comportement. L’instabilité, les troubles déficitaires de l’attention et l’hyperkinésie sont fréquents chez l’enfant porteur de S.A.F., de même que les atteintes mnésiques.

 

Réflexions sur la prise en charge

L’aliénation que subit un individu à un produit, les conséquences du comportement addictif qui vient in fine à être l’organisateur de la vie des sujets, les effets psychotropes des produits et les éventuels troubles psychopathologiques présentés par les patients addictifs ne sont pas sans conséquences sur la parentalité et le devenir des enfants.

1 - Avant la naissance

L’un des obstacles majeurs au dialogue quant aux consommations d’alcool durant la grossesse est la crainte de froisser, voire de blesser la femme enceinte. S’inquiéter de sa consommation de tabac, de psychotropes (tranquillisants et hypnotiques), voire de substances psychoactives illicites apparaît pour la plupart des acteurs de santé plus facile que de parler de consommation d’alcool. Ce qui est vrai pour la femme enceinte l’est d’ailleurs pour la plupart des consultants en quelque discipline que ce soit. Car parler de consommation d’alcool, c’est implicitement parler d’alcoolisme et, à ce terme, s’associent, rapidement, intuitivement et confusément, des croyances plus ou moins fondées d’incommunicabilité, d’incurabilité et de déchéance. Comme dans toute prise en charge médicale, il s’agit de rechercher une alliance thérapeutique et dans des cas particuliers d’éviter le piège de la complicité du déni qui n’est pas le seul fait du soigné mais aussi du soignant. Certes, l’angélisme en la matière est malvenu : un certain nombre de patientes seront et resteront inaccessibles au dialogue, aux conseils et aux soins. Pour autant, la généralisation de ce que l’on considère alors comme un échec ne doit pas sa faire aux dépens de toutes celles qui seront accessibles à une information sur les règles d’utilisation des boissons alcooliques en fonction des circonstances (conduite automobile, activités nécessitant une vigilance optimum), d’un état pathologique (hépatite virale, cardiomyopathie) ou d’un état physiologique … comme la grossesse. Informer des règles d’utilisation des boissons alcooliques et proposer de l’aide aux personnes dépendantes sont les deux axes pragmatiques d’une alcoologie qui n’est pas réservée à quelques spécialistes mais qui doit s’exporter et contaminer le champ médical, social et scientifique si l’on veut qu’un jour enfin les croyances et les attitudes se modifient pour le plus grand profit de tous.

La future mère est la plupart du temps en mesure de savoir que la consommation d’alcool, alors qu’elle est enceinte, peut avoir des effets délétères pour son enfant à naître. Lorsque la dépendance est forte et l’arrêt de l’alcool impossible, la future mère est dans une situation conflictuelle source d’une intense culpabilité. Celle-ci fait souvent obstacle à la demande d’aide. La grossesse est un moment dans la vie des femmes qui ont des problèmes avec l’alcool quand il y a rencontre avec des professionnels du soin. Il s’agit alors, pour ces professionnels du champ médico-social qui sont amenés à rencontrer cette mère, de l’aider à formuler ses craintes, ses difficultés quant à la dépendance et de la conduire à demander de l’aide. En effet, en cas de dépendance, la simple prescription de non-consommation est vouée à l’échec ; rajouter à la culpabilité en stigmatisant le comportement ne fera qu’aggraver l’isolement, le mauvais suivi de la grossesse et priver la mère et l’enfant du dispositif médico-social auquel ils ont droit.

Les femmes qui s’alcoolisent ont besoin d’être rassurées et sont en grande demande de dialogue et d’informations. Il convient de rappeler aux mères que l’arrêt de l’alcool est toujours bénéfique quel que soit le moment où celui-ci intervient durant la grossesse, avec reprise de la croissance et du développement cérébral du fœtus. Les échographies seront là pour témoigner de cette amélioration. Il s’agit d’étudier avec elles les moyens d’obtenir un arrêt de la consommation. Les groupes de paroles et notamment ceux spécifiquement féminins, fondés par des mères ayant été elles-mêmes confrontées à un problème d’alcool pendant leur grossesse, sont une aide précieuse. Le passage à domicile de sages-femmes de protection maternelle et infantile, sensibilisées et formées aux problèmes d’alcoolisation, est irremplaçable. Il convient également que les Centres de cure ambulatoire en alcoologie et les Unités Hospitalières d’Alcoologie puissent accueillir sans délai toute demande de prise en charge, y compris d’hospitalisation, venant d’une femme enceinte qui s’alcoolise.

2 - Après la naissance

On a vu que les séquelles d’une alcoolisation in utero peuvent conduire à de graves dommages. Pour autant, si l’enfant présente des séquelles de cette alcoolisation, il convient de lui permettre de développer toutes ses capacités potentilles et ce dans le climat psychoaffectif le plus favorable. En ce sens, l’aide doit être proposée tant à l’enfant qu’au couple parental, l’amélioration de l’un entraînant l’amélioration de l’autre dans une spirale profitable à la dyade. D’une manière pratique, mettre en place le soin pour les troubles neurocognitifs d’un enfant souffrant des séquelles d’une alcoolisation in utero, sans proposer d’aide quant aux conduites addictives des parents et à leurs déterminants (psychopathologiques ou psychosociaux) ne peut être considéré comme la manière optimale d’aide que l’on peut apporter. A l’inverse, les parents auront besoin de l’aide des professionnels de la pédiatrie pour affronter les difficultés qu’ils vont rencontrer avec un enfant souffrant des séquelles d’alcoolisation fœtale.

Article élaboré à partir de textes rédigés par
Le Docteur BABLED et
Le Docteur Thierry DANEL