N°135
Septembre 2001

Le LIbérateur journal de la Croix Bleue

 

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Editorial


Les terribles attentats qui viennent de se produire aux Etats-Unis ont expédié au loin nos souvenirs de vacances tout juste terminées. Au cours de cet été, l’actualité avait été animée par des événements déjà préoccupants aussi bien sur le plan économique que social. Les mois à venir auguraient des rendez-vous et des changements auxquels il allait falloir se préparer. La rentrée s’annonçait déjà bien chargée… quand le 11 septembre 2001, notre civilisation occidentale a été ébranlée.
Au moment où j’écris ces lignes les cendres ne sont pas retombées à New York et à Washington et nul ne sait ce qui va se passer dans les semaines à venir.
Pourtant, c’est quand même la rentrée et chacun doit continuer à assumer ses responsabilités pour protéger la pérennité des valeurs auxquelles chacun est attaché individuellement ou collectivement.
Ainsi, au Siège, dans de nouveaux locaux, avec une équipe un peu modifiée, nous mesurons ce qui va devoir être mis en œuvre pour concrétiser les récentes décisions prises lors de l’assemblée générale nationale pour l’avenir de notre Association.
Dans les groupes et sections, ce sont les premières rencontres après une période estivale généralement plus calme. Lors des conseils régionaux, des réunions de membres actifs, on fera le point sur le suivi des personnes accompagnées, sur les manifestations qui constituent la vie de notre Association, et bien évidemment, on parlera de formation.
L’équipe du Libérateur a souhaité que ce numéro soit consacré à la formation à un moment où le Conseil d’Administration a jugé nécessaire de donner, à ce volet incontournable de notre compétence un nouveau contenu et surtout une nouvelle manière de le dispenser.
En cette période riche de changements, apprendre est indispensable pour comprendre et nous pensons que la formation est intégrée à notre vécu pendant toute la durée de notre existence (les « seniors », comme leurs enfants, petits-enfants et pourquoi pas arrière petits-enfants ne se forment-ils pas actuellement à l’euro ?). Nous avons voulu aborder ce sujet sous différents aspects.
C’est ainsi qu’au-delà de la formation dans la Croix Bleue évoquée par Etienne Bruneton sous l’angle de l’envie de se former, nous avons demandé à trois autres acteurs professionnels de la formation leurs réflexions sur ce sujet à partir de leur vécu dans leurs entreprises.
Cela amènera certainement quelques réactions. Tant mieux, notre but est aussi d’en débattre au sein de l’association et de susciter parmi ses membres quelques vocations permettant d’enrichir et d’accroître la réflexion et l’animation dans ce domaine.
Bonne rentrée à toutes et tous.

Bernard LEDAY


Tout le monde peut-il former en alcoologie ? Mon propos n’est pas d’opposer l’engagement militant de l’ancien buveur au professionnalisme du formateur mais de mieux situer les places et rôles de chacun.
L’ancien malade fonde son expérience et son engagement sur un vécu personnel riche, authentique et plein d’émotions. Il offre un soutien indispensable à ceux qui, encore fragiles, font le choix du sevrage et s’engagent sur le long chemin de l’abstinence. Avec le temps et le recul, il devient un « modèle positif » pour ses pairs. Dans le cadre des actions de formation son témoignage est essentiel.

Un savoir,
Un savoir-faire et
Un savoir-être

Le professionnel de la formation se situe à une autre place. Il apporte une compétence dans le domaine qui est le sien : infirmier, médecin, psychologue, diététicien … Cette compétence professionnelle s’appuie sur une formation de plusieurs années, suivie d’une mise en pratique et complétée par une solide formation en alcoologie.
La formation en alcoologie se différencie de l’enseignement universitaire en ce sens qu’elle s’appuie sur la dynamique d’un groupe et qu’elle s’attache à transmettre non seulement le savoir mais le savoir-faire et le savoir-être.
La formation en alcoologie s’inscrit dans une réflexion globale sur les conduites à risque. A ce titre, elle nécessite de maîtriser plusieurs domaines, tels que :

· La prévention du risque alcool : histoire, pratiques, évolutions,

· Les aspects médicaux de la maladie alcoolique,

· Les aspects psychologiques,

· Les aspects juridiques et économiques,

· La question de l’éthique en santé publique.

Qu’elles soient généralistes ou spécifiques, les formations comportent plusieurs niveaux : stages de sensibilisation, perfectionnement, approfondissement, répondant aux exigences du public à former.
Formation spécialisée

En aucun cas une formation ne peut s’improviser. Par exemple, pour mener des entretiens de couple ou de famille, il est nécessaire de passer un D.E.S.S. (Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées) de psychologie clinique, suivi par trois ans de formation professionnelle théorique, méthodologique et personnelle.
Pour mener des actions de prévention ou de formation en entreprise il faudra un Diplôme universitaire de formation spécifique sur la démarche d’intervention en entreprise : une véritable compétence de consultant.

Dynamique permanente

En tant que responsable de formation et psychothérapeute, je mesure tous les jours à quel point une formation se construit tout au long de la vie. En plus de l’acquisition de connaissances théoriques et professionnelles, la formation implique de savoir s’adapter aux changements de contexte ou de société et de conserver suffisamment de flexibilité pour faire face à tous les bouleversements.
Avant de changer le regard des autres ne faut-il pas d’abord accepter de s’engager dans son propre changement ?

Florence POISSON
Psychothérapeute
Responsable formation à l’A.N.P.A.

A.N.P.A. : Association Nationale de Prévention de l’Alcoolisme
20, rue Saint Fiacre – 75002 PARIS
Tél. : 01 42 33 51 04
Site Internet : www.anpa.asso.fr


Mes premiers rapports avec l’alcool se situent vers l’âge de 14 ans. A cette époque, interne au Collège Technique de Gray, je restais plus de quinze jours sans rentrer chez moi. Le collège se situait dans une ancienne caserne dont il avait gardé la rigueur et la discipline. Là, j’ai commencé à fumer régulièrement.
Les lundis, le bus nous déposait toujours une à deux heures avant le début des cours, alors, on allait au bistrot juste en face du collège, boire des blancs limés, pour s’encourager en ce début de semaine. A la cantine, nous avions du vin à table ; mes parents en avaient été surpris et choqués. Au début, il en restait dans les cruches ; par la suite, nous avions pris l’habitude de tout finir.
Une fois, j’avais vraiment des « chaussures à bascule » et le prof m’avait envoyé à l’infirmerie.
C’est donc durant ma scolarité que j’ai commencé à boire régulièrement et que j’ai pris mes premières cuites.
J’ai le souvenir d’un soir de juin où l’on nous avait emmenés voir les feux de la Saint-Jean sur les bords de la Saône. La bière coulait à flot et les pions avaient passé la moitié de la nuit à ramener les internes au Centre. J’étais, quant à moi, revenu au Collège depuis le centre-ville à quatre pattes.
Après ma scolarité, il ne me semble pas avoir eu une consommation excessive jusqu’à mon départ pour l’armée.
A mon retour, j’ai repris le travail que j’avais chez Peugeot.
Selon les horaires de tournées, j’allais au café le matin ou le soir et y retrouvais les habitués et les copains. C’est à cette époque que les ennuis avec la justice ont commencé.
J’ai eu en effet de nombreux accidents dus à l’alcool. En trois ans, 17 voitures sont passées entre mes mains : toutes ont fini à la casse.
Mais ma vie a vraiment basculé un soir de juillet 1981 où j’ai tué accidentellement ma fiancée d’une balle de carabine.
En une nuit, j’ai tout perdu : ma fiancée enceinte de 3 mois et mon père, mort d’une crise cardiaque.
J’ai été incarcéré plus de cinq ans pendant lesquels j’ai pu continuer à consommer de l’alcool. On pouvait cantiner de la bière, certes en quantité limitée, mais il y avait toujours moyen de s’arranger. A la maison d’arrêt, un matin, j’étais tellement ivre que le Directeur a fait fouiller ma cellule : 36 canettes de bière furent trouvées. J’ai ensuite été transféré en Centre de détention, et j’ai pu avoir un travail assez bien rémunéré. J’avais d’ailleurs une place privilégiée pour le trafic de bière.
Malgré certains désagréments avec les autorités pénitentiaires, ma consommation ne diminuait pas.
A ma libération, j’ai bu de plus en plus et les problèmes avec la justice ont continué de plus belle : amendes, retraits de permis de conduire, mise à l’épreuve, travail d’intérêt général, sursis, annulation du permis et, inévitablement, peines de prison fermes qui revenaient régulièrement pour des périodes de plus en plus longues.
Mes fréquents passages en tôle et mon alcoolisme ne furent pas étrangers à l’évolution de mon comportement. Autant je pouvais être gentil à jeun, autant je pouvais être violent quand j’avais bu. D’agneau je devenais fauve, ne reconnaissant rien ni personne. Dans ces états de folie furieuse, aucune de mes compagnes ayant fait un bout de chemin avec moi, n’a échappé à ma brutalité. Même ma mère, toujours présente pendant ces longues années, en a aussi fait les frais et a dû quitter sa maison où j’habitais pour se protéger de moi et prendre un petit appartement dans une ville voisine.
Elle connaissait la Croix Bleue et m’en avait souvent parlé, mais je ne me sentais pas concerné et il a fallu des années pour que cette idée fasse son chemin, jusqu’à ce jour de 1994, où ayant de nouveau des problèmes judiciaires insurmontables je me suis décidé à contacter un membre actif, André Hellec. Il me donne rendez-vous chez lui. Je ne sais pas si je n’ai pas pu ou pas voulu le trouver, toujours est-il que la rencontre n’a pas eu lieu.
Quelques semaines s’écoulèrent avant que je me décide à retéléphoner. J’eus Daniel Brulin.
On s’était donné rendez-vous dans un b ar. Là encore nous avons failli nous manquer, car ne tenant pas en place, j’étais reparti téléphoner à sa femme. Nous avons parlé une partie de l’après-midi et je l’ai suivi à la permanence de la section où j’ai signé un engagement de trois jours.
Le mardi suivant, j’assistai à ma première réunion à Valentigney.
Les mois passèrent avec des hauts et des bas. Je dois dire que mon alcoolisme était cyclique et qu’entre les crises, il y avait des périodes plus calmes où l’espoir revenait. Je me disais aussi : les autres y arrivent, pourquoi pas moi ?
Mais il m’était dur de revenir à une réunion quand je n’avais pas tenu un engagement. Au début, j’avais peur de me faire engueuler, mais cette crainte a vite fait place à un sentiment de culpabilité.
En 1996, mon problème n’étant toujours pas réglé, j’ai décidé de faire une post-cure à Virac.
Ce séjour fut positif. J’ai pu après, grâce à une entreprise de réinsertion, retravailler.
A partir de là, tout était possible ! Je ne buvais plus et je travaillais. Je me sentais bien.
Mais mon tort fut de boire des boissons dites sans alcool (Pacific, Buckler).
Un jour n’en trouvant pas au bar, j’ai pris un demi.
La rechute fur inéluctable et au travail mes supérieurs me demandèrent de faire une cure. Après trois semaines de cure au centre de Clairefontaine, j’ai pu reprendre mon travail et avoir des responsabilités. Ca ne m’empêcha pas de re-consommer et quand j’avais bu, j’étais si virulent et agressif que mon chef n’osait plus s’approcher de moi. Tout était reparti de plus belle !
Un jour, je me retrouvai une nouvelle fois au tribunal, condamné à un an de prison dont quatre mois ferme avec cinq ans de mise à l’épreuve, pour état d’ébriété sur mon cyclomoteur.
J’ai pu bénéficier d’une semi-liberté, je ne rentrais à la prison que pour la nuit. Mais je buvais la journée et un soir, j’ai insulté le directeur de la maison d’arrêt. Bien sûr, on me transféra à Besançon et la semi-liberté fur supprimée.
Grâce à mes employeurs j’ai pu bénéficier d’une liberté conditionnelle mais pour eux la situation était devenue ingérable et des soins médicaux furent de nouveau décidés.
Je suis reparti en cure à Clairefontaine et de là au Phare à Lorient en postcure. J’en suis sorti le 15 mai 1999.
Le 5 mars 2000, je suis devenu membre actif à la section de Valentigney.
Depuis mon premier contact avec la Croix Bleue, plus de six ans d’un parcours tortueux et accidenté se sont écoulés.
Je remercie les personnes qui ont cru que pour moi c’était possible et je n’oublie pas ma mère également membre actif de la Croix Bleue, qui a toujours été présente.

Francis