N°136
Décembre 2001

Le LIbérateur journal de la Croix Bleue

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Editorial 

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Quand vous lirez ces lignes, Amis lecteurs, proche sera le moment où vous tournerez la dernière page de 2001. Et à l’aube de ce nouvel an, j’ai d’abord envie d’exprimer des vœux pour que 2002 soit pour chacun de vous une année riche d’espérances nourries par l’amitié et l’amour de ceux qui vous sont chers, qu’elle soit aussi pour certains marquée par un nouveau départ lié à l’abstinence bien vécue et pour d’autres par une meilleure santé.

Ces souhaits sont aussi destinés au monde dans lequel nous vivons. Ces derniers mois, tous, nous avons été les témoins désarmés de la folie meurtrière perpétrée au nom d’idéologies extrémistes, tellement éloignées de l’esprit de tolérance qui nous anime à la Croix Bleue. Le choc brutal de cette violence a frappé tous les esprits et a dénoncé l’importance du conflit existant entre différentes cultures, dont les modes de vie semblent incompatibles. Il faudra pourtant bien trouver in terrain d’entente pour que puissent continuer à coexister les habitants de notre planète. Nous sommes tous conscients des obstacles que devront franchir et résoudre les négociateurs chargés d’apporter la paix dans ces pays en guerre. Chacun devra tenir compte à la fois de l’héritage culturel et des réalités du monde actuel.

La tolérance, la compréhension sont des qualités bien difficiles à entretenir. On le voit au quotidien lorsqu’il s’agit d’aplanit les divergences de vue ou d’opinion qui animent tout un chacun au sein d’un pays, d’une ville, d’une communauté et même d’une association quand des transformations interviennent.

Notre mouvement n’y échappe pas. La regrettable et locale remise en cause de textes opportunément rénovés et pourtant adoptés par notre Assemblée Générale en est une manifestation.

Sans rien renier de ses racines et de son histoire, la volonté primordiale de la Croix Bleue demeure de venir en aide aux piégés de l’alcool tout en conservant sa place dans un monde alcoologique en développement constant. Pour ce faire, nous devons surmonter les craintes qui nous habitent face aux mutations et remises en cause qu’impose l’évolution de notre société et de notre environnement.

Un très grand nombre d’entre vous dans les sections, les congrès régionaux, au cours des sessions de formation, dans les centres de postcure montrent et démontrent que ce mouvement a été accepté et est déjà en route. Mon espérance pour cette nouvelle année est que chacun y trouve sa place dans l’esprit de tolérance et de fraternité qui est le nôtre à la Croix Bleue.

Ma confiance dans la bonne volonté de chacun d’entre vous demeure inchangée car je sais combien la Croix Bleue a aidé, aide et aidera celle ou celui qui est en désespérance à cause de l’alcool. Tous nos efforts doivent se rassembler dans cette mission : combattre l’alcoolisme par l’accompagnement et la prévention. Je me réjouis que nous nous réunissions tous ENSEMBLE dans quelques mois au congrès de Metz pour manifester notre engagement commun.

Avec tous les membres de votre Conseil d’Administration, je vous souhaite de bonnes fêtes de Noël et un excellent début d’année.
Le Président

Bernard LEDAY




Vous avez dit dépendance ou dépendances?
Ou encore addiction?

En introduction, deux histoires "édifiantes" et qui se terminent "bien ".

Monsieur G. (42 ans) en dépit des séquelles d’un accident du travail qui le faisait vivre d’une pension d’invalidité, n’avait jamais été officiellement malade. Il était en toute simplicité ce qu’on appelle un "solide buveur" un de ceux qui "tiennent" remarquablement la boisson. Depuis son café-rhum le matin jusqu’à la bière dégustée devant la télé en soirée, Monsieur G. s’alcoolisait tous les jours solitairement ou socialement en ville, avec les "amis" … Sans tenir compte des conseils de modération de sa famille à laquelle il opposait le fait qu’il n’était jamais ivre, ce qui paraissait exact...
Ce soir-là, il était resté dehors sous la pluie de décembre pour tenter de résoudre seul, la panne de sa vieille voiture. En rentrant chez lui, il s’était réchauffé avec un bon "grog"…
Le lendemain, en dépit de ce "remède" réputé, Monsieur G. n’avait pas la forme : il se sentait fatigué au point de rester à la maison… Madame G. en profita pour lui imposer un "petit régime" sec et lui demander, le lendemain, de se joindre à elle pour faire les achats de Noël…
Ainsi, cet après-midi-là, Un Monsieur G. obéissant, accompagnait son épouse en ville. À la sortie du deuxième magasin, il s'affaissa, devint très pâle et, allongé sur le sol, fut agité par des convulsions… Alors que son visage se cyanosait.
Madame G eut très peur… Heureusement, un des témoins téléphona au SAMU dont l’ambulance arriva rapidement. Si les convulsions avaient cessé, Monsieur G. n’avait pas repris connaissance. Il avait uriné sous lui et restait plongé dans un état comateux. Sa face était congestionnée et il respirait bruyamment avec de l’écume au coin des lèvres…
Le médecin urgentiste du SAMU évoqua l’épilepsie… Arrivé à l’hôpital, Monsieur G. fut victime d’une deuxième crise ce qui confirma le diagnostic. Madame G. découvrit à cette occasion, lors de l’entretien avec le médecin, que l’apparente tolérance à la boisson dont son époux "bénéficiait" était un leurre, que les crises convulsives de Monsieur G. traduisaient le manque d’alcool et non le trop plein… Madame G. découvrit aussi à cette occasion que les réveils angoissés dont se plaignait parfois son époux au petit matin avec le corps trempé de sueurs et les mains tremblantes, tous ces désagréments qui s’effaçaient avec un café "arrosé" d’un peu de rhum étaient les signes avant-coureurs de l’état de manque. En fin d’entretien le médecin conclut : "Pour le moment, le corps de votre époux ne peut plus se passer d’alcool. Nous allons l’aider à s’en sevrer…". À l’hôpital, Monsieur G. fut pris en charge par le service d’"alcoologie de liaison" et pour le plus grand bien de sa santé, rentra, dans une filière de soins.

Monsieur D. était bien plus jeune que Monsieur G. Monsieur D. avait bu très tôt dans sa vie et jusqu’à ce qu’il rencontre celle qui devait devenir son épouse, il était ce qu’on appelle un « fêtard ». Toutes les semaines il « sortait » le samedi et vivait ce qu’il baptisait la "java". Après avoir joué avec son équipe de rugby, la "troisième mi-temps" donnait le signal d’une consommation incontrôlable et joyeuse. Pendant la semaine, Monsieur D. était parfaitement capable de se passer d’alcools, mais, le samedi, c’était "sacré" (sic). Dans la nuit, il lui arrivait de raccompagner les copains… Jusqu’à ce soir maudit où il perdit le contrôle de sa voiture vers deux heures du matin. Il s’en tira avec trois jours de coma, mais son copain passager fut moins chanceux : une fracture vertébrale avec une lésion de la mœlle le privait désormais de l’usage de ses jambes. Ce fut un coup très dur pour Monsieur D. et qui le fit beaucoup réfléchir. Il décida de se "ranger", de ranger la boisson dans le rayon des accessoires de jeunesse. Il devint abstinent d’alcool… Et cette période coïncida avec la rencontre de sa compagne.
Ce soir-là ils fêtaient leur anniversaire de mariage. C’était la fête. Ils avaient décidé de s’offrir un repas exceptionnel dans le cadre d’une table réputée et, connaissant le motif de cette soirée, le patron du restaurant (un ancien copain du rugby) offrit le champagne… Une fois en passant… Ce n’était pas un jour comme les autres… De toute façon, ils rentraient en taxi… Monsieur D. accepta. Il était décidé de ne s’accorder qu’une seule coupe… Finalement ce fut lui qui absorba la presque totalité de la bouteille… Presque étonné d’en supporter le contenu avec tant de facilité…
Le lendemain, Monsieur D se trouva assiégé tout au long de la journée par d’étranges réflexions : "Après tout j’ai bien supporté ce champagne… On devrait sortir plus souvent … Peut-être que je de vrais me remettre au rugby…" (Il y avait une équipe de seniors dans son ancien club). Rentré chez lui il s’en ouvrit à sa compagne qui, sarcastique, le ramena à la lucidité : "Dis donc… à propos du rugby que tu veux recommencer… C’est par intérêt pour les deux premières mi-temps ou pour la troisième ?" Alors Monsieur D. atterrit dans la réalité, il se rendit compte que le champagne de la veille avait réveillé la nostalgie de la jouissance alcoolique. Il réalisa aussi que l’obsession avait commencé avec la première coupe, qu’il avait pratiquement vidé la bouteille et qu’il en aurait faci lement consommé une seconde !…

Ces deux histoires illustrent les deux facettes des états de dépendance alcoolique : dans le cas de Monsieur G. il y a eu une souffrance corporelle critique, une menace vitale provoquée par la décompensation brutale d’un équilibre d’adaptation du système nerveux à la présence continue de l’alcool dans le corps. Le corps de Monsieur G. finissait par avoir besoin d’alcool pour fonctionner au quotidien. Au départ, le manque de fin de nuit s’exprimait par les
poussées de sueur nocturne, les tremblements et les angoisses du réveil. Combinée au stress du refroidissement, l’aggravation du manque d’alcool se traduisit par les crises convulsives, préludes au redoutable delirium tremens auquel Monsieur G. échappa grâce aux soins dont il fut l’objet.
Le cas de Monsieur G. était censé illustrer un problème de dépendance physique et celui de Monsieur D. un problème de dépendance psychique. En réalité ces deux aspects essentiels de l’état de dépendance aux boissons alcoolisées coexistent souvent chez le même individu, mais il faut souligner que l’état de manque, ce qu’on désigne sous le nom de syndrome de sevrage est le plus spectaculaire, le plus accessible au traitement médical dit "cure de sevrage" et il mobilise plus facilement l’attention de l’entourage que la dépendance psychique. Celle-ci sera plus secrète… Elle aura tendance à persister tout au long de l’existence et se manifestera à l’occasion d’une prise "raisonnable" d’alcool. Sa traduction? Le désir obsessionnel de consommer une boisson alcoolique contre la raison et la volonté du sujet. La dépendance psychique, elle, mérite vraiment le nom de dépendance et traduit un désir incontrôlable : un désir devenu besoin impérieux qui se traduit mentalement par une obsession (étymologiquement "obsession" vient d’un mot qui signifie "assiéger"). Pour ne pas réveiller l’obsession, la seule parade est la non-consommation de boissons alcooliques. Faut-il encore, que le dépendant d’alcools devenu lucide sur son état, prenne son intérêt de santé en main propre et défende son droit à la non-consommation à contre-courant de notre ambiance culturelle. Cette prise de conscience constitue l’objectif essentiel de la thérapeutique des états de dépendance. Un objectif thérapeutique auquel les associations et mouvements de buveurs devenus abstinents (comme Croix bleue) concourent de façon essentielle et depuis plus d’un siècle.
Cette propriété d’induire chez certaines personnes un état de dépendance, l’alcool éthylique la partage avec d’autres substances dites psychoactives. On s’est rendu compte que les mêmes parties du cerveau étaient concernées par ce mécanisme de dépendance psychique quelle que soit la nature chimique de la "drogue". Cela a permis de dépasser la frontière entre produits psychoactifs licites (comme l’alcool et les tranquillisants) et illicites (comme le cannabis ou la cocaïne) et de définir un dénominateur commun : l’impossibilité de contrôler un comportement et la poursuite de ce comportement en dépit de la connaissance qu’on en a de ses conséquences négatives pour la santé et la vie. Ce dénominateur commun a reçu le nom d’addiction mot anglais hérité du vieux Français juridique qui désignait la contrainte, exercée par le débiteur, pour dette non payée. Il y a derrière ce terme d’addiction la notion de dette, de contrainte, d’assujettissement. Les substances psychoactives comme l’alcool, l’héroïne ou le cannabis peuvent induire des comportements addictifs mais des comportements comme les conduites de jeu intenses, les achats compulsifs (achats auxquels on ne peut pas résister), en général, les conduites de recherche
obsédantes de sensations fortes, les conduites alimentaires maladives : boulimie et anorexie ; tous ces faits sont considérés comme différentes formes d’addictions… Et parfois les sujets passent de l’une à l’autre au cours de leur existence : de la boulimie à l’alcoolisme par exemple...
Les dépendances maladies seraient donc multiples… Mais le terme de "dépendance" ne recouvre pas que des faits pathologiques. Notre vie quotidienne est pleine de situation de dépendances utiles à la vie (la dépendance amoureuse par exemple ou la dépendance vitale entre une mère et son petit enfant).
Il serait peut-être plus sage d’utiliser le terme "addiction" pour rendre compte des situations de dépendance-maladie. Constatons que notre usage ne l’a pas encore admis.
Ce sera ma conclusion.
Dr Lionel BENICHOU
64300 ORTHEZ

 
 

L’ALCOOL ! PAS BESOIN D’ETRE IVRE POUR EN MOURIR

PAS BESOIN DE BEAUCOUP POUR DEVENIR DEPENDANT

Cette nouvelle campagne de prévention a le mérite de donner un autre éclairage sur les pièges de l’alcool.
L’ivresse est spectaculaire et révèle la dangerosité du produit alcool, mais une consommation régulière,
plus ou moins modérée, peut conduire vers la dépendance, vers un risque presque aussi grave.
Ah les plaisirs du vin ! combien de livres, de chansons, d’envolées lyriques y sont consacrés.
Combien d’argent aussi… et combien de souffrances, d’accidents, de morts en sont les rançons.

Oui, au début l’alcool est un plaisir. Lorsque l’on est enfant, ce breuvage est réservé aux « grands » et il intrigue,
 la première gorgée d’alcool tout comme la première bouffée de cigarette font partie de ces interdits que l’on rêve de braver.
 Plus tard, on s’habitue au goût de l’alcool et insidieusement à ses effets, tout comme au tabac.
Ce n’est certes pas l’itinéraire de tout le monde, mais un grand nombre de Français suivent ce cheminement qui fait partie de « notre » culture.
Le vin, la bière, le cidre, puis le champagne, les whisky, cognac, pastis et autres jalonnent notre adolescence.
Pour certains, ce sont les repas de famille bien arrosés, pour d’autres, les bouteilles partagées avec les
copains ou les copines qui font découvrir des instants chaleureux, euphoriques, où l’amour, l’amitié,
la fraternité se conjuguent avec la convivialité. Des moments où l’on se sent bien parce que l’on partage quelque chose qui fait voir la vie en rose !

Petit à petit, le recours à cette boisson « joyeuse » s’installe. Un soir de solitude, de cafard, de déception,
d’angoisse, on prend un verre et hop ! on se sent mieux… Un jour de fête, on boit beaucoup, trop,
on découvre les effets de l’ivresse, on rit, on se laisse aller, on se déchaîne, on s’éclate…
Alors, on recommence un peu, beaucoup, trop pour certains  !

Les lendemains deviennent de plus en plus pénibles, et si l’on ne réagit pas, les relations avec l’alcool deviennent
de plus en plus dangereuses. Car le cafard n’est pas soluble dans l’alcool, le mal-être demeure.
Et les fiestas trop arrosées laissent un goût amer face aux regards moqueurs des autres, témoins de nos extravagances…
Alors, alors, s’insinue progressivement le besoin de fuir la réalité, et l’alcool revient pour anesthésier la confrontation avec la vie.

Au début, on parvient à gérer ce besoin, à boire « discrètement » un peu trop, on s’organise, on négocie, on arrive à
conserver un rythme de vie civilisée, on peut même connaître des périodes d’accalmie, de stabilisation,
voire boire « comme tout le monde »… Mais, dès que le fragile équilibre est ébranlé, le recours excessif à l’alcool revient.
On n’arrive pas à oublier qu’un jour, on s’est senti bien après avoir bu, on a réussi à faire quelque chose de difficile,
on a surmonté ses appréhensions, on a pu communiquer avec les autres… On croit que l’alcool peut nous aider,
quelle tromperie ! mais on ne le sait pas encore. Le produit est facile à trouver, cela devient un médicament sans ordonnance
dont on se prescrit des doses de plus en plus fortes et dont on ne peut plus se passer.

Alors, la dépendance prend racine, inéluctable besoin quotidien qui devient vital, tentaculaire, aussi bien physiquement
que psychologiquement avec son cortège de mensonges, envers les autres et envers soi-même, de honte, de faiblesse, d’isolement, de repli sur soi.
C’est tout une tranche de non-vie cette période si douloureuse où seul l’alcool apporte un néfaste moment de répit,
où la peur du manque devient l’unique préoccupation, où tous les moyens sont bons pour se procurer de quoi boire, et parfois,
n’importe quoi d’alcoolisé.

Les conséquences physiques ne se font pas attendre, on n’a plus d’hygiène de vie, on mange peu ou pas, le sommeil n’est plus réparateur,
on s’assomme pour oublier, pour ne pas se réveiller, pour ne plus se voir, on tremble jusqu’au moment où le verre plein est à portée de mains,
alors pour quelques instants, pour quelques minutes seulement, on se sent apaisé. Furtive accalmie, avant les coups de tonnerre en tout genre.
L’entourage se révolte, la famille s’épuise, les amis s’éloignent, des ruptures se produisent. Les problèmes matériels s’amoncellent,
on perd son travail, parfois son toit. On s’isole de plus en plus, on s’enroule dans sa bulle d’alcool, surtout ne pas réfléchir,
on plonge dans le néant. On n’est plus dans la vie…
Mais heureusement on est encore en vie, et, un jour, on se remet en route et on se reconstruit, l’abstinence est l’une des armes de ce
combat plus ou moins long mais toujours difficile, on peut le gagner, on le veut, on le gagne et, plus tard, on peut rédiger ces quelques
lignes pour décrire les étapes d’une dépendance.
C’est une dépendance aux multiples pièges dont le déroulement est propre à chacun, elle peut s’installer rapidement ou très lentement,
qu’importe les quantités d’alcool, le milieu social, la situation familiale, le niveau intellectuel ; il n’existe ni règle,
ni personne plus à risque qu’une autre, ni vaccin… mais s’arrêter de boire est toujours possible, à la Croix Bleue nous en sommes
persuadés et pouvons en témoigner.
Pour rejoindre le préambule, « l’alcool, pas besoin d’être ivre pour en mourir », je voudrais ajouter « l’alcool,
pas besoin de beaucoup pour devenir dépendant ».

Laurence LEDAY