N°137
Septembre 2002

Le LIbérateur journal de la Croix Bleue

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Editorial 

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Le printemps est déjà là. Aux heures de la fin février où j’écris ces lignes quelques bourgeons témoignent de beaux jours précoces. La nature ne va pas tarder à se parer d’autres couleurs. C’est aussi, pour nous tous, le temps de mettre en place et de vivre des renouveaux, qu’ils soient choix personnels ou dictés par les événements.

En feuilletant votre Libérateur, vous découvrirez des textes ou rubriques qui sont autant de clins d’œil à cette novation. Nous allons, en effet, dans le trimestre qui vient, vivre tout d’abord deux périodes électorales au cours desquelles il sera bien évidemment question d’argent, de moyens et de financements. Notre Société est, qu’on le veuille ou non, immergée dans cette problématique directement liée aux difficultés auxquelles elle doit faire face.

L’alcoolisme et la Croix Bleue n’échappent pas à ce constat et le dossier qui lui est consacré, parfois avec humour, illustre bien ses différentes facettes. Du coût social de l’alcoolisme au prix à payer et à celui que l’on donne aux éléments essentiels de notre existence, chacun pourra apprécier la diversité de ce sujet qui, je l’espère, laissera place à beaucoup de réactions et de commentaires.

Par ailleurs et en réponse à un malentendu avec nos partenaires financiers, les principaux mouvements dits d’anciens buveurs ont souhaité manifester leur ressenti face à un comportement interpellant à leur égard. La lettre publiée dans ce numéro sera, en raison de l’actualité, suivie d’autres correspondances adressées aux candidats président et parlementaires selon des modalités qui seront précisées très rapidement.

Ces réactions trouveront, très certainement, leur prolongement logique dans la motion qui sera lue à l’issue de notre Congrès national de Metz les 22 et 23 juin prochains. Une rencontre dont les travaux de préparation sont pratiquement bouclés et pour laquelle votre participation s’annonce prometteuse.

Cette fête sera pour la Croix Bleue une occasion de se retrouver avec ses militants, ses amis, ses partenaires au cours de deux journées de fête et de réflexion. Le thème retenu par le Conseil d’Administration « Après l’alcool … Construire, se reconstruire. » permettra de nos restituer clairement dans notre identité, nos convictions et nos actions. Ce sera, j’en suis persuadé, la concrétisation heureuse d’un renouveau dont les signes avant coureurs m’apparaissent déjà.

C’est vrai que c’est le printemps !

A bientôt donc à toutes et à tous.

Bernard LEDAY



 J’ai cherché comment je pourrais partager au mieux avec vous les sentiments (divers d’ailleurs) que m’ont inspiré les lectures à ce sujet.
Je pouvais me lancer dans un long exposé plus ou moins soporifique.
Puis, je me suis dit que cela serait sans doute inutile. Certes,
l’exposé n’exclut pas le débat, mais celui-ci se situant généralement en fin de réunion il manque souvent de passion peut-être par manque de temps…
Alors, j’ai opté pour une méthode plus moderne, plus dynamique, interactive comme on dit maintenant.
 
Nous allons ensemble, recenser et commenter les mots et les expressions, couramment utilisées, qui font référence à l’argent : 

Mots communs :
         Fric, Blé, Oseille, Tune, Flouze, Peze, Pognon. etc … 
Pourquoi ressentons-nous le besoin d’utiliser autant de mots d’argot pour désigner la même chose ? 
Expressions :

         Il va me le payer –

         Il se paie ma tête. 

Je vais lui rendre la monnaie de sa pièce – Je vais lui régler son compte.
Ces expressions sont apparemment sans rapport avec l’argent qui n’est d’ailleurs souvent pas l’objet du conflit.
Pourtant, inconsciemment, nous estimons que l’autre a une dette à payer, dette, dont celui qui est mis en cause n’a,
dans la plupart des cas, aucune idée !
Payer en liquide.
         Liquider ses biens.
Là, l’argent devient liquide ; d’ailleurs on dit bien que l’argent coule à flots !
Et de liquide, il peut aussi devenir plus ou moins solide quand on parle d’alimenter son compte, de l’approvisionner.
Il y a derrière tout cela l’idée d’engranger, de faire des réserves.
 En avoir pour son argent
En 1913, Freud supprime la gratuité de ses séances de psychanalyse et introduit la notion « d’influence correctrice du paiement ».
L’argent donne le poids des « maux » dit-il. Certains pensèrent à l’époque qu’il avait des soucis d’argent. Peut-être était-ce vrai,
du moins en partie, car nous sommes tous plus ou moins hypocrites devant l’argent.
L’expression « En avoir pour son argent » pourrait venir de là. D’ailleurs, ne mettons-nous pas en doute la qualité d’un produit
dont le prix nous apparaît comme en dessous de sa vraie valeur ?
L’argent ne fait pas le bonheur.
Ce dicton m’en rappelle un autre : « Les hirondelles ne font pas le printemps ». Cela n’a, a priori, rien à voir sauf qu’en fait,
cela dépend quand même beaucoup de l’hirondelle…
Il es effectivement facile pour ceux qui sont nantis de dire que l’argent ne fait pas le bonheur ; c’est un peu plus délicat pour les autres.
Mais cela n’en reste pourtant pas moins vrai puisqu’il n’est pas rare que des gens fortunés tombent dans la dépression,
dans l’alcool, voire se suicident…
Donc, par déduction, l’art du bonheur serait de savoir se contenter de ce que l’on a, et surtout ne pas convoiter ce que l’on a pas.
 Ne rien posséder serait la véritable liberté puisqu’on ne peut alors rien vous retirer…
Il est facile de parler ainsi ; encore faut-il savoir à qui l’on peut tenir ce langage.
On remarque que ces phrases sont volontiers proposées aux autres et constituent plus rarement une philosophie appliquée à soi-même.
N’est-ce pas alors un peu hypocrite d’expliquer à plus pauvre que soi que l’argent ne fait pas le bonheur ?
Le vrai bonheur coûte peu : s’il est cher, il n’est pas de la bonne espèce. (Chateaubriand)
Le temps, c’est de l’argent.
Cet adage m’amuse vraiment. Mettre en parallèle le temps et l’argent donne une idée de la puissance que l’homme met dans l’argent.
Comme si celui-ci pouvait, à son gré, se jouer du temps. Certes, les expressions « gagner du temps et perdre du temps »
nous font penser un instant que nous pouvons avoir une quelconque influence sur ce sacré temps qui nous manque.
Mais le temps, lui, est impalpable, immuable. Nous pouvons juste le mesurer mais pas se le payer (se payer du bon temps).
Le prix à payer
On parle souvent du prix à payer pour obtenir quelque chose, bien sûr, mais aussi pour autre chose comme par exemple :
le prix à payer pour être belle. S’agit-il là encore d’argent ?
Vous me direz : c’est de valeur que l’on parle et dans notre exemple, simplement pour la femme,
de l’idée de se mettre en valeur (pour elle-même ou pour les autres).
Mais dans notre monde d’argent, valeur et prix sont synonymes, alors …
L’argent nous sert de monnaie d’échange, de « faire-valoir » alors que sa fonction première est de
justement permettre de ne rien devoir à l’autre en s’acquittant (ça-quittant = être quitte),
de payer en quelque sorte comptant (content) ?
La dépense (dépense) – acheter sans penser, sans réfléchir …
L’argent,

         C’est le nerf de la guerre.
Voici encore une expression qui tend à nous faire penser que l’on ne peut rien faire sans argent (et surtout pas la guerre).
Alors, d’après vous, que peut-on faire sans avoir beaucoup d’argent ?
De l’argent à tout prix.
Si j’ai choisi ce citre, c’est qu’il dit bien la tendance de notre époque.
Il est devenue inconcevable (et, hélas aussi, impossible) de vivre sans un minimum d’argent.
Alors, il faut trouver de l’argent à n’importe quel prix !
Et comme tous les moyens sont bons, il engendre alors la violence, les magouilles, etc…
Le pouvoir destructeur de l’argent se vit partout. Des familles se brouillent et se déchirent pour un héritage.
Même les associations comme la nôtre ne sont pas épargnées.
La disponibilité d’une somme au-delà des besoins immédiats peut devenir une véritable épreuve.
Les capacités de dialogue, de démocratie, d’unité sont malmenées dès qu’il y a un enjeu où l’argent est mêlé.
Des clans se forment. Aux différences d’opinions et de projets se superposent alors des questions de personne et de pouvoir.
(le pouvoir et l’argent vont souvent de pair). L’argent fausse les débats qui sont pourtant nécessaires pour échanger ses points de vues.
C’est d’une triste et banale réalité qui va parfois jusqu’à la scission ou la disparition pure et simple du groupe.
Un responsable de section disait un jour : « je suis heureux ; nous n’avons rien en caisse ».
A nous maintenant de nous faire notre opinion sur notre propre relation à l’argent, quelle part prend-il réellement dans notre vie …
Mais ça, je laisse à chacun le soin d’en débattre avec lui-même…
Je finirai par cette phrase d’André COMBES (ancien Président de la Croix Bleue) qu’il a prononcée à l’Assemblée Générale de 1984
 : « Si nous prétendons être libérés, soyons-le, bien sûr, d’abord de l’alcool,
mais aussi de tous les autres asservissements comme celui de l’argent et nous serons alors véritablement LIBRES. »

Yves FENICE

Mardi 9 janvier 2001

 

   

LE PRIX A PAYER POUR S’EN SORTIR

En cette année de changement de monnaie, si je parle de prix chacun d’entre nous pense à la conversion du franc en euro.
Et on se pose beaucoup de questions.
Est-ce qu’il ne va pas y avoir une dérive des prix ?
Vais-je avoir assez d’argent pour vivre ?
Est-ce que je vais m’y retrouver entre toutes ces pièces ? Etc…
Mais si la France et les Français ont choisi l’Europe, pour être vraiment européens, il faut accepter la monnaie unique.
Cela demande un effort de calcul et d’adaptation : c’est le prix à payer.

Mais le prix n’est pas toujours synonyme d’argent.
En matière d’alcoolisme, il y a aussi un prix à payer. Tout d’abord c’est l’alcool, produit que l’on achète et qui a un coût :
Tout cet argent dépensé et qui manque au bon fonctionnement du ménage ; cette maison ou cette entreprise que l’on a bue.
Mais ce n’est peut-être pas le plus important. Ne dit’on pas « Plaie d’argent n’est pas mortelle » ?

Le prix que l’on paye à l’alcool c’est la destruction du foyer, de la famille, de la communication ;
la souffrance que l’on vit et que l’on engendre autour de soi.
Les anciens alcooliques parlent surtout du prix qu’ils ont payé à cause de leur dépendance à l’alcool :
divorce, perte d’emploi, retrait du permis de conduite, pas d’argent et parfois même vivre dans la rue.
En plus de ces constatations matérielles aux lendemains de cuite, il y a aussi la honte de ne pas avoir vu grandir ses enfants,
de la perte de leur garde, d’un comportement abject envers certaines personnes de son entourage, de la solitude,
de l’angoisse permanente de manquer d’alcool, de la santé qui se détériore : « l’alcool assassin » comme dit
cette personne qui a accompagné son frère jusqu’à la mort. La liste est longue, trop longue.

Aujourd’hui parlons du prix à payer pour s’en sortir, pour ne plus être un alcoolique.
Là, il est question de décision et aussi d’efforts.
La décision n’est peut-être pas le plus difficile. Combien de fois avons-nous dit en toute sincérité : « Demain j’arrête ! ».
Mais hélas, le lendemain, le besoin d’alcool se faisait sentir. Impossible de résister, nous sommes trop mal et nous ne supportons pas la souffrance ;
alors nous buvons ; la dépendance est la plus forte. Il y a aussi la peur de l’inconnu : « Que vais-je devenir sans cet alcool ? »,
 « Comment vais-je vivre sans lui qui est mon compagnon de tous les jours, le remède de tous mes maux ? »,
 « Est-ce que je ne vais pas mourir ? » … Comme pour l’euro, nous nous posons un tas de questions.
Et pourtant, pour s’en sortir il faudra bien ne plus consommer d’alcool, plus du tout et plus jamais.
C’est ici que la note à payer arrive. Le total n’est pas fait d’une succession d’articles comme dans un magasin mais d’une liste d’efforts à faire,
et certains ne sont pas faciles.

Tout d’abord reconnaître que l’on est alcoolique et décider que l’on va s’arrêter de boire ;
je devrais plutôt dire « essayer de s’arrêter de boire ». Souvent ça démarre par un sevrage en milieu hospitalier car la dépendance est si forte
que l’arrêt de consommation provoque des douleurs insoutenables. Mais ce n’est pas tout.
Si je ne fais rien d’autre, je risque de vivre mon abstinence comme une privation. Alors quels efforts dois-je faire ?
D’abord ne plus fréquenter les bars, changer mes habitudes, quelquefois même changer de lieu,
ne pas acheter de l’alcool pour offrir aux amis qui viennent chez moi au risque de me retrouver bien seul,
prendre conscience de tout le gâchis que j’ai créé : calvaire de l’entourage, dettes accumulées,
 … mais aussi reprendre confiance en soi, avoir la patience et la persévérant sans alcool je devenais transparent, comme si je n’avais aucune importance. »
L’entourage ne suit pas et ne cherche pas à comprendre.
C’est très difficile à vivre ; pour cela il faut accepter de se faire aider et  d’attendre que la confiance et le respect des autres reviennent …
Certains diront que : « dans l’alcool j’existais car je perturbais mon entourage ;La Croix Bleue est là pour vous accueillir et
vous accompagner car le prix à payer n’est pas toujours celui auquel on pense. Il y a beaucoup de dérivés, des choses auxquelles on n’avait pas pensés.

L’instant de la rupture, c’est l’instant du vide.
Je connais la vie que je lâche mais je ne sais rien sur ce qui m’attend.
Pour faire face à cette nouvelle vie je suis comme le petit enfant qui a besoin de ses parents pour lui donner la main
afin qu’il ne tombe pas lorsqu’il apprend à marcher. Moi aussi j’ai besoin de tuteurs sur lesquels
 je vais m’appuyer pour obtenir une marche assurée et aller d’un bon pas sur le chemin que je veux prendre.
Au fil des réunions j’apprends à m’exprimer, à parler de ma souffrance, à mettre des barrières pour me protéger,
à être patient et vigilant. Les amis de l’association me donnent le courage de persévérer vers cette vie inconnue qui
petit à petit deviendra mienne et me font prendre conscience que je fais les premières démarches pour me responsabiliser.

Et l’entourage ?
Mari, épouse, compagne, enfants, amis, eux aussi ont des efforts à faire.
Faire l’effort de comprendre ce qu’est la dépendance alcoolique pour mieux aider celui ou celle par lequel on a souffert,
le soutenir dans sa démarche, l’accompagner aux réunions, éviter de reprocher le passé même si beaucoup de choses ne vont pas encore bien à cause de ce passé.
C’est accepter la séparation lorsque le conjoint va en postcure trois mois et expliquer cette séparation aux enfants, assumer seul la vie de famille,
faire face à toutes les difficultés (financières, familiales, scolaires…), régler les dettes,
les problèmes de justice ou autres afin que le conjoint ne soit pas encombré par ces soucis.
Là aussi c’est beaucoup de souffrances, de sacrifices que l’on ne peut accepter que si l’on est animé par l’espérance de la guérison de l’autre.
En fait, quitter l’alcool est une séparation et toute séparation est douloureuse.

Nicole AUTAJON