De l'obligation et du choix
Dans
la trajectoire du malade, à un moment donné de sa vie, il se trouve face à
la notion "d'obligation" et/ou de "choix".
Il est vrai que dans mon cadre de travail, je rencontre des patients qui
sont "amenés" là par divers intervenants
(famille, travailleurs sociaux, médecins généralistes, employeurs,
justice, etc.).
Lorsque le patient arrive à l'hôpital, la situation est déjà compliquée.
Il peut s'agir d'une première démarche,
"poussé" par la famille ou le milieu professionnel ou encore de nombreuses
tentatives de sevrage ambulatoires qui ont échoué, etc..
Bien entendu le patient tente de se persuader et de nous persuader qu'il
s'agit d'une démarche volontaire et motivée,
ce qui est certainement vrai au moment où il le dit.
Si l'on part du postulat que la dépendance est "la perte de la liberté de
s'abstenir" comment le patient retrouve-t-il
assez de liberté pour prendre une décision librement consentie ?
Au début de ma prise de fonction, j'étais étonnée du nombre de rechutes.
J'ai mis au point un questionnaire afin de tenter de comprendre si, dans
chaque cas,il y avait une "pression",
une obligation, ou s'il s'agissait d'un libre consentement du sujet.
Sur 20 cas observés, 18 étaient soumis à une pression, soit de l'entourage
familial, médical, social,
soit une pression interne se manifestant sous forme d'angoisses et de
peurs, de demandes et de désirs,
une tension psychique importante et insupportable pour le malade.
Ces pressions ont un rôle très important puisque qu'elles amènent le
patient à réagir, à chercher à faire baisser la pression,
tant externe qu'interne d'ailleurs.
L'obligation de soins, qu'elle émane du milieu judiciaire, social,
familial, médical, renvoie tout naturellement à la notion
de pouvoir qui permet de dire ou faire, de faire faire, de protéger ou de
sanctionner, d'autoriser ou d'interdire, et ce,
au travers de toutes les relations sociales.
Le pouvoir est un élément que l'on rencontre très fréquemment dans la
prise en charge du malade ;
par exemple tel thérapeute qui dit très clairement au malade que s'il
cesse ses entretiens
(ou tel membre actif qui dit clairement à l'accompagné que s'il cesse la
fréquentation de la section)
il rechutera sans aucun doute : pouvoir, chantage…
La réflexion sociologique s'est orientée dans des directions différentes
afin de rendre compte (d'expliquer)
de ce pouvoir omniprésent, voire présent comme dans l'exemple ci-dessus :
1/ Le pouvoir est un mode de relation entre individus ou groupes qui
mobilise des ressources pour occuper la situation
la plus favorable possible.
2/ Le pouvoir se
caractérise par des positions statutaires inégales autorisant certains à
commander et d’autres à obéir.
3/ Le pouvoir est une
exigence inhérente au fonctionnement des ensembles sociaux organisés.
Dans la pathologie (alcoolisme) qui nous occupe, ces trois modes de
pouvoir coexistent.
Il semble toutefois que le troisième mode fonctionne dans le sens où il
fait appel à la recherche d'un mieux être psychosocial
tant pour la personne alcoolique elle-même que pour son entourage et sa
réinscription dans le tissu social.
Dans son livre " la dépendance " Albert MEMMI indique que la dépendance
est en elle-même une contrainte :
la dépendance n'est pas toujours de bon aloi, la dignité exige que l'on
clame par dessus tout sa liberté,
(celui) qui est assujetti est méprisable, peut être dangereux pour le
groupe, elle est pour le moins (la dépendance)
un aveu de sa faiblesse, d'une incapacité à trouver en soi-même les
ressources nécessaires pour s'en sortir.
Le dépendant peut obtenir l'indulgence du groupe s'il a démontré son
impotence (de in – privatif et posse : pouvoir)
et s'il se plie à certaines règles.
L'on en revient donc à la notion d'obligation, ce qui ne déplaît pas
foncièrement au malade qui a souvent la crainte
de se trouver livré à son comportement dépendant et de tomber dans un
gouffre dont il lui sera difficile de sortir.
Il réclame confusément de l'aide afin de se déprendre (libérer) de son
produit. La seule issue est alors de faire appel à autrui
Alors, obligation ? Choix ?
Choix obligatoire me paraît convenir assez bien, car en mettant en
parallèle tout ce que l'alcool peut faire perdre et tout ce
qu'il est possible de gagner en "choisissant de vivre autrement", la
décision est évidente. Alors pour quelle raison est-ce si difficile ?
Dans ce raisonnement l'on oublie le facteur rituel qui est un exorcisme
permanent contre une angoisse ou une éventuelle menace extérieure,
qui peut être également une manière de communiquer.
L'on peut arriver à ce "choix obligatoire" avec une aide sérieuse,
médicale, psychosociale, etc.,
ainsi qu'avec le soutien amical et éclairé des mouvements.
H. DEMET BRUNWASSER
Assistante sociale Thérapeute systémicienne relaxologue
EHLAM METZ